Appel à communications - Journée d'étude "Les débats de la traduction"
L’histoire de la discipline le montre : la traduction fait débat et les débats font la traduction. Force est de constater que la traduction reste un processus “trouble” où se jouent interférences linguistiques, socioculturelles, politiques, pour n’en citer que quelques-unes, qui dépassent le cadre du simple transfert d’informations. Pour l’idéaliste, la traduction est “[a]rt du croisement des métissages aspirant à la totalité-monde, art du vertige et de la salutaire errance... [qui] s’inscrit ainsi et de plus en plus dans la multiplicité de notre monde » (Glissant 36). Pour le plus pessimiste, la traduction est une “manipulation” sinistre entre les mains de certains pouvoirs politiques, économiques et socio-culturels.
Si la traduction favorise la transmission et le partage des connaissances et des arts entre la France et l’Italie à l’époque de la Renaissance, la critique faite aux traductions françaises de l’oeuvre de Dante , notamment son non-respect des complexités de la langue poétique (d’où le fameux “Traduttore, traditore”), est révélatrice du statut de la traduction et du traducteur. C’est, par exemple, autour de la traduction de L’Iliade que se cristallise en partie le débat entre les Anciens et le Modernes: la première traduction, celle de Mme Dacier, fidèle à Homère, se revendique des Anciens tandis que la seconde, celle d’Houdar de La Motte, se veut proche du “peuple” (Canmargue). Les approches cibliste et sourciste de la traduction sembleraient ainsi avoir toujours eu leurs partisans. Ses approches interrogent d’ailleurs la nature et la fonction de la traduction. Une bonne traduction serait-elle forcément fidèle à l’original ? Serait-elle, au même titre que le traducteur, et pour reprendre les termes de Venuti, invisible ? La visibilité de la traduction serait-elle forcément marquée par l’erreur? Qu’entend-on par traduction “visible” (ou “audible” dans le cas du doublage par exemple) ? Car lorsque l’erreur est perçue, la traduction sort inévitablement de son invisibilité. Or, l’erreur, à éviter pour l’un, est à célébrer pour l’autre. Certains favorisent une approche étrangéisante ou sourciste alors que d’autres crient à la trahison et prônent une approche domesticante ou cibliste. Selon son camp, la nature de l’erreur est donc changeante. Encore s’agit-il d’appréhender l’erreur, ce que se sont proposés de faire les auteurs du numéro de TTR, daté de 1989, dédié à « L’erreur en traduction » ou, plus récemment, Catherine Schwerterr, Catherine Gravet et Thomas Barège dans L’erreur culturelle en traduction (2019). Pour Larose, «[l]’erreur en traduction est généralement vue comme l’inobservation des règles du projet de traduction, espèce de “cahier des charges” dans lequel s’énoncent les principes et postulats de traduction » (7). L’erreur engagerait donc une certaine éthique du traduire et, par extension, du traducteur investi de sa “tâche” (Benjamin).
Une traduction contenant des erreurs est-elle toutefois nécessairement ratée? Certaines erreurs peuvent concrètement coûter des vies, comme ce fut le cas avec la traduction en anglais du mot japonais polysémique “mokusatsu” prononcé par le Premier ministre japonais Kantaro Suzuki en réponse à l’ultimatum des Américains lors de la Seconde Guerre mondiale. L’expression est interprétée et relayée par les journalistes américains présents à la conférence comme un « mépris silencieux traduisant donc un simple refus alors que l’expression peut se également se traduire par un simple “sans commentaire”, ce qui était vraisemblablement la volonté de Suzuki: la sentence est sans appel et les Américains bombardent Hiroshima et Nagasaki quelques jours plus tard.
Que la traduction soit source de conflits est indéniable, mais c’est au-delà du produit traduit qu’il convient également de s’intéresser. L’étude de la traduction divise et reste marquée par quelques grands “tournants” de pensées qui tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent (Hornby). On pense ainsi au tournant linguistique, culturel, post-colonial, sociologique et psychologique, pour n’en citer que quelques-uns. Chaque école de pensée propose une terminologie qui lui est propre, pouvant prêter à confusion et fermer tout dialogue.
Cette journée d’études s’intéressera donc aux:
- erreurs de traduction
- débats en traduction autour du produit, du procédé et de l’approche
- débats au sein de la discipline des sciences de la traduction (ou traductologie, là encore source de débats, voir Boisseau)
- divers tournants au sein de la discipline
Les actes de cette journée d’études seront publiés dans Convergences francophones (http://mrujs.mtroyal.ca/index.php/cf/index), une revue semestrielle, pluridisciplinaire et en libre accès sur le site de l’université Mount Royal.
Domaines envisagés : études de la traduction, littérature, linguistique, arts, culture, histoire.
Les propositions comporteront un titre ainsi que des mots-clés et ne devront pas dépasser 200 mots. Elles doivent être envoyées à Antoine Eche (aeche@mtroyal.ca) et Justine Huet (jhuet@mtroyal.ca). Leurs auteur.e.s enverront également une brève notice bio-bibliographique. Les présentations à distance sont possibles mais la priorité sera donnée aux conférencier.ière.s pouvant effectuer le déplacement.
Date limite de soumission des propositions : 15 janvier 2023
Responsables :
Antoine Eche aeche@mtroyal.ca
Justine Huet jhuet@mtroyal.ca
URL de référence : http://mrujs.mtroyal.ca/index.php/cf/index
Bibliographie:
Benjamin, Walter. « La tâche du traducteur. » Œuvres I. Gallimard: Paris, 2000.
Boisseau, Maryvonne. « De la traductologie aux sciences de la traduction ?. » Revue française de
linguistique appliquée, vol. xxi, no. 1, 2016, pp. 9-21.
Cammagre, Geneviève. « De l’avenir des Anciens. La polémique sur Homère entre Mme Dacier
et Houdar de La Motte. » Littératures classiques, vol. 72, no. 2, 2010, pp. 145-156.
Glissant, Edouard. Introduction à une poétique du Divers. Pais: Gallimard, 1996.
Hornby, Mary-Snell. The Turns of Translation Studies: New Paradigms or Shifting Viewpoints?.
Amterdam & Philadephia: John Benjamins, 2006.
Larose, Robert. « Présentation. L’erreur en traduction : par delà le bien et le mal. » TTR, volume
2, numéro 2, 2e semestre 1989, pp. 7–10. https://doi.org/10.7202/037043ar.
« L’erreur en traduction : par delà le bien et le mal. » TTR. Dir. Robert Larose. Volume
2, numéro 2, 2e semestre 1989, pp. 7–10. https://doi.org/10.7202/037043ar.
Schwerter, Stéphanie, Catherine Gravet et Thomas Barège. L’erreur culturelle en traduction:
Lectures littéraires. Dir. Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2019. Web. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.88293.
Venuti, Lawrence. The Translator’s Invisibility. Londres & New York: Routledge, 1995.