Appel à contributions pour le numéro thématique Bessora : « Auteur lunatique à géographie variable »? 

2024-02-05

Coordinatrices du dossier

A. Stevellia Moussavou Nyama, Aix-Marseille Université

Fabiola Obame, Université Omar Bongo

 

Quand on pense aux autrices africaines d’expression française, le nom de Bessora n’est jamais bien loin. Née sous le nom de Nguema Nan Sandrine Bessora en 1968 d’un père gabonais et d’une mère suisse, une double ascendance — qu’elle revendique d’ailleurs elle-même — fait qu’on la classe parmi les auteur∙trice∙s métis∙ses. Bessora, qui se définit comme un « auteur lunatique à géographie variable » sur son blog, a grandi entre le Gabon et la Suisse, puis suivi une partie de ses études en France et aux États-Unis. Son parcours que nous qualifierons d’éclectique porte les marques de cette circulation eu égard à la diversité de ses œuvres. Elle a principalement publié dans des maisons d’éditions européennes, notamment chez Le Serpent à Plumes, Gallimard ou plus récemment chez J-C Lattès pour ne citer que celles-là. Elle est marquée par une hétérogénéité et un multiculturalisme que l’on retrouve dans ses œuvres. C’est le cas de ses personnages, à l’exemple de Johann (La dynastie des boiteux. Zoomania) ; de Zara (53cm) ; ou de Yéno et Waura (Deux bébés et l’addition…) qui se présentent comme des êtres insaisissables aux identités complexes. La thématique du dédoublement et du traumatisme se retrouve ainsi insérée dans des récits de filiation enchevêtrée dans lesquels des personnages, psychologiquement torturés, se refusent à tout déterminisme et semblent être en quête de leurs histoires personnelles.

Mais Bessora est aussi considérée comme une autrice afropolitaine (De Meyer, 2009 ; Garnier, 2017). Même si l’Afrique reste centrale dans ses œuvres, elle s’inscrit dans la différence et le refus de tout déterminisme. Qui côtoie ses créations aura vite remarqué sa tendance à remettre en question et à déconstruire les assignations et les catégorisations. Son écriture explore souvent les complexités de l’identité, de la culture et des relations humaines. Bessora se décrit comme allergique « aux essentialismes, mythes aryens, féminins, négro-africains et compagnie » (Bessora, 2018). Autrement dit, elle refuse les assignations d’où qu’elles viennent et combat toutes les idées préconçues. Elle préfère aborder ces sujets avec une perspective nuancée qui fait croire qu’elle est en quête d’une ouverture que l’on ne peut trouver que dans l’étrangeté et la dissidence. Elle s’inscrirait alors dans cette façon d’être au monde que décrit Mbembe :

 Au demeurant, notre manière d’être au monde, notre façon « d’être-monde », d’habiter le monde – tout cela s’est toujours effectué sous le signe sinon du métissage culturel, du moins de l’imbrication des mondes, dans une lente et parfois incohérente danse avec des signes que nous n’avons guère eu le loisir de choisir librement, mais que nous sommes parvenus, tant bien que mal, à domestiquer et à mettre à notre service. La conscience de cette imbrication de l’ici et de l’ailleurs, la présence de l’ailleurs dans l’ici et vice-versa, cette relativisation des racines et des appartenances primaires et cette manière d’embrasser, en toute connaissance de cause, l’étrange, l’étranger et le lointain, cette capacité de reconnaître sa face dans le visage de l’étranger et de valoriser les traces du lointain dans le proche, de domestiquer l’in-familier, de travailler avec ce qui a tout l’air des contraires – c’est cette sensibilité culturelle, historique et esthétique qu’indique bien le terme « afropolitanisme. » (2005)

Aussi est-il étonnant que malgré sa volonté de ne pas être réduite à une seule identité, les thématiques abordées dans ses œuvres font de façon à peine voilée allusion à l’Afrique, à son passé ou à son Histoire. Chez elle, l’espace textuel est aussi « le lieu de cohabitation de discours souvent antagonistes » (Mbondobari, 2012, p. 100). L’omniprésence du passé dans ses œuvres s’explique par sa formation d’anthropologue qui s’est achevée avec une thèse sur les mémoires pétrolières du Gabon. Ses romans, qui sont très documentés, s’appuient sur des sources historiques pour déconstruire certaines approches qu’on dirait simplistes pour souligner la complexité de ces expériences du passé. Le caractère iconoclaste de sa production littéraire repose beaucoup sur un style décalé, un fréquent recours à l’ironie et à l’humour. Son style raffiné, empreint de sensibilité, marque son lectorat. Elle engrange alors quelques prix, quoique dits « de second rang » (Bush et Ducournau 2015, p. 537), dont le Prix Fénéon en 2001 pour son roman Les taches d’encre et le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire en 2007, pour Cueillez-moi jolis Messieurs…et en 2022, elle sera nommée Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. Le capital symbolique de Bessora demeure cependant insuffisant pour qu’elle soit considérée parmi les classiques littéraires africains ou qu’elle jouisse d’une « patrimonialisation littéraire » (Ducournau, 2017, 12) : ces consécrations littéraires et son parcours éditorial contrastent avec sa visibilité sur la scène internationale.

Si de nombreux articles et travaux universitaires se consacrent à l’étude de ses œuvres, aucune monographie n’a encore été dédiée à l’autrice et à ses œuvres. Pourtant, cette dernière est très prolifique. Depuis la publication de son premier roman en 1999, l’autrice a publié onze romans et de nombreuses nouvelles et une bande dessinée. Elle bénéficie d’un capital symbolique important sur la scène littéraire et reste très visible dans l’univers médiatique grâce à son blog et ses autres réseaux sociaux qu’elle alimente régulièrement. Son rayonnement va au-delà de l’espace francophone, car elle jouit d’une reconnaissance internationale, comme en atteste la traduction de certaines de ses fictions (Les orphelins a par exemple été traduit en portugais et en allemand). Ses œuvres traitent de préoccupations plurielles tout en convoquant des disciplines variées. Comme le souligne Sylvère Mbondobari, les œuvres de « Bessora sont en somme le lieu de renégociation de la parole, le terrain d’expérimentation d’une identité incertaine, multiple, et toujours en construction, et enfin l’espace d’élaboration d’une Histoire des savoirs jamais figée, mais en train de s’écrire » (p. 101). C’est cet aspect qui nous conduit à nous intéresser à la réception de ses œuvres dans le champ littéraire et à proposer un volume qui permettra une meilleure connaissance de l’autrice et de ses créations. 

Ce projet vise à rendre hommage à l’autrice en réfléchissant aux préoccupations éthiques et esthétiques présentes dans son écriture. À titre indicatif, les propositions pourraient s’inscrire dans la liste, non exhaustive, des axes ci-après : 

-          La réception de ses œuvres dans le monde

-          Identité et genre

-          Mémoires et Histoire

-          Positionnement dans le champ littéraire (Écriture et engagement)

-          Poétiques de Bessora

-          Temps et espace 

-          Représentations spatiales

-          Intermédialité et intergénéricité

-          Enquête généalogique, filiation, hérédité

-          Migration et migritude

Modalités de soumission

Les propositions de contribution, sous forme d’un résumé et d’une brève notice biobibliographique de 300 mots au maximum, sont attendues au plus tard le 29 avril 2024 à l’adresse bessoracontributions@gmail.com.

Les réponses seront données au plus tard le 15 mai 2024. Les textes définitifs sont attendus pour le 30 juin

Comité scientifique

Bernard De Meyer, Université du KwaZulu-Natal

Claire Ducournau, Université Paul-Valérie Montpellier 3 

Etienne-Marie Lassi, Université du Manitoba

Christine Le Quellec Cottier, Université de Lausanne

Catherine Mazauric, Aix-Marseille Université

Sylvère Mbondobari, Université Bordeaux Montaigne

Peter Ndembi Manfoumbi, Université Omar Bongo

Steeve Renombo, Université Omar Bongo

Cheryl Toman, Université de l’Alabama

Bibliographie indicative

AMBOURHOUËT-BIGMANN, Magloire, « Bessora, une écrivaine ‘Totale’ », Les Grands auteurs gabonais, Libreville, Éd. Amaya, n°2 (Bessora, numéro coordonné par Didier Taba Odounga et Noël-Bertrand Boundzanga), janvier 2016, 150 p. ; p.°117-149.

BUSH, Ruth et DUCOURNAU, Claire, « La littérature africaine de langue française, à quel(s) prix ? », Cahiers d’études africaines [En ligne] 219 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 05 février 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/18218.

BOULE, Viviane, « Une étude psychanalytique du personnage en tant qu’effet-prétexte dans Et Si Dieu me demande, dites-lui que je dors et Cueillez-moi jolis Messieurs de Bessora », Les Grands auteurs gabonais, Libreville, Éd. Amaya, n°2 (Bessora, numéro coordonné par Didier Taba Odounga et Noël-Bertrand Boundzanga), janvier 2016, 150 p. ; p. 71-88.

CARRIERE, Marie, « Médée postcoloniale : Bessora et Marie-Célie Agnant », Médée Protéiforme, Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, 2012, 210 p. ; p.°43-176.

CHAVOZ, Ninon, « Généalogie d’une exception. Les romans de génération chez Bessora et Namwali Serpell », Rencontres, n°2, 2022, pp. 117-129.

COSTE, Marion, « Parade et disparition du personnage postcolonial chez Kossi Efoui, Sandrine Bessora et Koffi Kwahulé », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 23 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 05 février 2024. URL : Parade et disparition du personnage postcolonial chez Kossi Efoui, Sandrine Bessora et Koffi Kwahulé (openedition.org).

COULIBALY, Djéké, « The “chez-soi” in Sandrine Bessora and Léonora Miano’s Novels », La Revue des lettres modernes, 2023, pp. 157-174.

DE MEYER, Bernard, « L’afropolitanisme en littérature : Le cas de Bessora », in De Meyer, Bernard, Neil ten Kortenaar (éds), The Changing Face of African Literature / Les nouveaux visages de la littérature africaine, Amsterdam/New York, Cross/Cultures n° 104, 2009, pp. 153-166.

DUCOURNAU, Claire, La fabrique des classiques africains. Écrivains d’Afrique subsaharienne francophone, Paris, CNRS, 2017.

ELLA ONDO, Serge, « La représentation du Gabon dans l’œuvre romanesque de Bessora », Les Grands auteurs gabonais, Libreville, Éd. Amaya, n°2 (Bessora, numéro coordonné par Didier Taba Odounga et Noël-Bertrand Boundzanga), janvier 2016, 150 p. ; p. 39-54.

ENGONGA ELLA, Rostand Mickael, Les identités postcoloniales dans le roman francophone : essai d’une poétique de la relation dans l’œuvre romanesque de Bessora. Thèse, Université d’Aix-Marseille, 2015.

EYA’A OBAME, Daisy Fabiola, Pour une réflexion écocritique postcoloniale : lecture de Petroleum de Bessora, Les neuf consciences du Malfini de Patrick Chamoiseau, The Conservationist de Nadine Gordimer et la trilogie postcoloniale de Kate Grenville (The Secret River, The Lieutenant, Sarah Thornhill). Thèse, Université de Bretagne occidentale, 2021.

GARNIER, Xavier, « Jeune, belle, cultivée et… métisse. Les séductions afropolitaines de Bessora », in Anne Castaing et Elodie Gaden (dir.), Ecrire et penser le genre en contexte postcolonial, Bruxelles, Peter Lang, pp. 141-152.

HACHETTE, Pauline, « Petroleum de Bessora : de la fossile-fiction à l'herméneutique des profonds », Études littéraires africaines, n° 55, 2023, pp. 15-26.

JENSEN, Laura Bea, Writing Race and Universalism in Contemporary France : Marie Ndiaye and Bessora, New Heaven, Yale University, 2017.

LEBLANC, Marilou, Les traces de la mémoire dans Texaco de Patrick Chamoiseau et Petroleum de Bessora. Thèse, Université Laval, 2009.

MBEMBE, Achille, « Afropolitanisme », Africultures, 26 décembre 2005. URL : Afropolitanisme | Africultures. 

MBONDOBARI, Sylvère, « Prose postcoloniale et enjeux mémoriels. Discours, mythes, et mémoire coloniale dans 53 cm et Petroleum de Sandrine Bessora », in Anthony Mangeon (dir.), Postures postcoloniales. Domaines africains et antillais, Paris, Karthala, 2012, pp. 95-127.

MOUSSAVOU NYAMA, A. Stevellia, « Vous, les ancêtres by Sandrine Bessora », Women in French Studies, 2023, vol. 31, no1, pp. 170-171.

PANAÏTE, Oana, et al., « Féminitude et Filiations », Nouvelles Études Francophones, vol. 33, no 2, 2018, pp.  1-16. 

PANAÏTE, Oana, « L'œuvre de la littérature-monde et les laboratoires fictionnels d'Alice Zeniter et Bessora », Études culturelles françaises, vol.3, n 2, 2020, pp. 136-146.

STEWART, Alexandra et DE MEYER, Bernard, « La carte d’identification : Saartjie Baartman et le langage de classification dans 53 cm de Bessora », French Studies in Southern Africa, n° 48, 2018, pp. 189-210.

VITALI, Ilaria, « L’Occident est oxydant!. Prouesses stylistiques contre les clichés ethnologiques : le cas de Bessora », Palabres, vol. 7, 2007, pp. 243-252.